Introduction

Charles Babbage (1791-1871) est un mathématicien anglais réputé pour avoir conçu des machines de calcul mécaniques. Après des études puis quelques années en tant que professeur à l’université de Cambridge, il consacre une partie de son temps à la conception de plusieurs machines qui permettent de réaliser des calculs mathématiques mécaniquement selon différentes méthodes : les machines à différences et la machine analytique. Il est également très investi dans le développement de la discipline scientifique en Grande-Bretagne, en tant que fondateur de la Royal Astronomical Society et auteur de nombreux articles et réflexions fondamentales sur les mathématiques, l’industrie et l’économie.1 Il est passé à la postérité notamment dans le monde de l’informatique où on le considère comme l’un des parents de la discipline. En France, un prix qui récompense les travaux de jeunes chercheurs en informatique porte son nom et celui de sa contemporaine Ada Lovelace2.

Premier essai : La machine à différences

La première machine de Babbage est la machine à différence, conçue à partir de 1822. Celle-ci repose sur la méthode des différences finies et permet de calculer les tables trigonométriques et de logarithmes automatiquement puis de les imprimer sur papier 3.

PRINCIPE
Les valeurs successives d'une fonction sont calculées à partir de sa valeur initiale et des différences connues entre elles. Cela repose sur la propriété suivante : les différences $n$-ième d'un polynôme de degré $n$ sont constantes, et les différences $n+1$-ième sont nulles, tel que $\Delta^nf(x) = \Delta^{n-1}f(x+1) - \Delta^{n-1}f(x)$ .

Machine à différences n°1 Machine à différences n°1

« Charles Babbage’s Difference Engines and the Science Museum », Science Museum, London, 2023. [En ligne]

Cette machine est limitée dans les opérations qu’elle peut faire, et ne satisfait pas son créateur qui souhaite une machine qui pourrait réaliser tous les calculs nécessaires sans risquer d’y introduire une erreur humaine. Il décide donc de s’atteler à une nouvelle machine.

Concevoir la machine analytique

Charles Babbage commence à concevoir les plans de la machine analytique en 1834. Contrairement à la machine à différence, celle-ci a pour objectif d’être « universelle », c’est-à-dire de calculer les valeurs de n’importe quelle fonction. Pour ce faire, la machine intègre les moyens de calculer successivement des opérations arithmétiques (addition, soustraction, multiplication, division) à partir de données d’entrées (programme). Ces données sont inscrites sur des cartes perforées de type Jacquard, une invention récente - du début du siècle - mise au point par le Lyonnais Joseph Marie Jacquard dans le cadre de la mécanisation des métiers à tisser.

La machine est composée d’éléments qu’on retrouve désormais dans les ordinateurs : des modules d’entrée (cartes perforées), de sortie (imprimante), une mémoire (magasin) et une unité de calcul (moulin), interconnectés et actionnés mécaniquement. Mais la machine analytique n’est pas que « l’ancêtre de l’ordinateur ». Lui appliquer cette étiquette reviendrait à en faire une machine « précurseuse » d’un concept que son inventeur n’a jamais imaginé, et risquerait de nous conduire à des interprétations partielles voire erronnées de son fonctionnement.

La conception de la machine analytique est révélatrice des réflexions et des préoccupations de Charles Babbage et de son époque. Elle est conçue pour répondre à des problématiques scientifiques, certes, mais également politiques et sociales. Par exemple, les machines de Babbage permettent de produire des tables mathématiques pour les calculs de navigation maritime (tables astronomiques) basés sur ceux-ci. Outre le fait que l’astronomie soit à l’époque une discipline extrêmement prestigieuse (« reine des sciences »), la mécanisation du calcul des tables astronomiques est stratégique pour une puissance maritime telle que l’Angleterre. Surtout, dans un contexte de révolution industrielle, Charles Babbage cherchait à répondre par la science aux ambitions d’amélioration des performances et de l’efficacité des procédés scientifiques et industriels, ainsi qu’aux problématiques sociales liées à l’industrialisation.

« Les différentes étapes du processus opérateur sont matérialisées chacune par une partie de la machine. C’est ce qui a porté les historiens à considérer cette “calculatrice mécanique automatique à programme externe” comme préfigurant l’architecture von Neumann des ordinateurs […]. Mais c’est bien du principe de la division du travail que découle cette organisation. » 4

Construire la machine

La machine à différences a été construite du vivant de Babbage et a aussi été reproduite depuis, ce qui n’est pas le cas des autres machines qui n’ont pas reçu les fonds suffisants. La machine à différence n°1 conçue en 1822 a été réalisée en 1832 par l’ingénieur Joseph Clement et présentée par Babbage lui-même. Babbage a mis au point une nouvelle version de la machine à différences, la n°2, entre 1847 et 1849 (soit après la machine analytique). Celle-ci n’a été construite qu’en 1991 par le Science Museum de Londres pour le bicentenaire de la naissance de Babbage. 5

Machine à différences n°2 Machine à différences n°2

« Difference Engine No.2, designed by Charles Babbage, built by Science Museum », Science Museum. [En ligne]

En ce qui concerne la machine analytique, il n’existe à ce jour aucune réalisation complète de la machine. Seule une construction partielle a été réalisée par Henry P. Babbage, fils de Charles, en 1871. De nombreux projets existent pour lui donner vie physiquement ou virtuellement (via des représentations 3D). Il est ainsi possible de trouver, en plus des plans et descriptions contemporaines à Babbage, des explications et des réalisations partielles de la machine. La section Sources référence une partie de ces projets.

Essai de construction d’un composant de la machine analytique Essai de construction d’un composant de la machine analytique

« Babbage’s Analytical Engine, 1834-1871. (Trial model) », Science Museum. [En ligne]

Notre projet actuel se repose et agrège ces sources pour tenter de rédiger des spécifications techniques aussi complètes que possibles. Leur objectif est de permettre la réalisation progressive d’une modélisation 3D de la machine analytique de Charles Babbage.

Note : Dans la mesure où une partie des éléments constitutifs de la machine à différences n°2 se retrouve dans la machine analytique (et inversement), nous nous reposons sur les instructions à disposition concernant les deux machines.


  1. PIRE, Bernard, « BABBAGE Charles (1791-1871) », Encyclopædia Universalis [En ligne] ↩︎

  2. Prix Lovelace-Babbage de l’Académie des sciences en partenariat avec la Société informatique de France ↩︎

  3. « The Babbage Engine », Computer History Museum, 2023. [En ligne] ↩︎

  4. DURAND-RICHARD, Marie-José, « Le regard français de Charles Babbage (1791-1871) sur le “déclin de la science en Angleterre” », Documents pour l’histoire des techniques , n°19, 2010. [En ligne] ↩︎

  5. « Charles Babbage’s Difference Engines and the Science Museum », Science Museum, London, 2023. [En ligne] ↩︎